Marguerite Duras, le judaïsme et l‘interdit du N/nom dans Le camion et La pluie d‘été

Auteurs-es

  • Rebecca Josephy

Résumé

Dans le scénario et le film Le camion (1977) de Marguerite Duras, un seul prénom biblique – « Abraham » – émerge d‘un arrière-plan où se confondent des personnages et des lieux indistincts. Au cours du film, le prénom devient tabou. Treize ans plus tard, un phénomène semblable se produit dans La pluie d‘été (1990) lorsque la déclinaison : « moi, fils de David, roi de Jérusalem », extrait du Livre de l‘Ecclésiaste, revient de façon frappante et provoque une gêne palpable. Dans ce roman, qui plus est, une série de personnages sont « polyonymiques », glissant d‘une identité à  une autre, d‘un nom à  un autre. La nomination ici est donc tout à  fait particulière et déclenche une peur vive qui se manifeste dans le texte par des réactions paroxystiques : pleurs, cris, hurlements, silences. L‘axe principal de cet article sera donc d‘étudier la source de ce malaise et de déterminer le ou les interdits qui le provoque et qui mènent à  la perte de la parole. Dans un premier temps, nous verrons alors comment les noms et titres bibliques tels qu‘« Abraham » et « le fils de David » s‘inscrivent dans une démarche de réduction de toute identité à  celle contenue dans les unités nominales minimales, « Juif » ou « Juden ». Dans un deuxième temps, nous explorerons comment les réactions paroxystiques des personnages se relient à  la difficulté et à  l‘importance de donner un nom – en tant que fondatrice de l‘identité des individus, mais aussi aux interdits de la représentation et de la verbalisation du divin dans la Bible hébraïque.

In the script and film, Le camion (1977) by Marguerite Duras, a single biblical name – “Abraham” – emerges from a backdrop of indistinct characters and places. During the film, the name becomes taboo. Thirteen years later, a similar phenomenon occurs in La pluie d‘été (1990) when the verse “I, son of David, King of Jerusalem” from Ecclesiastes repeats regularly throughout the text and generates a feeling of discomfort and embarrassment. Furthermore, in this novel, characters are “polynymous”, shifting from one identity to another, one name to another. Here, the act of naming is entirely unique and provokes a deep sense of fear that manifests in the text through the characters‘ paroxysmal reactions: cries, screams, howls, and silence. The main focus of this article will be to study the source of this malaise and to determine the prohibitions and taboos that lead to this incredible loss of speech. Thus, in the first part of the article, I examine how and why Duras populates Le camion and La pluie d‘été with biblical, Jewish names and the way in which “Abraham” and the “the son of David” in these works become concentrated into a single word and identity: “Jew” or Juden”. In the second part of the article, I explore how the characters‘ paroxysmal reactions relate to the difficulty and importance of assigning a name, both in terms of individual identity, but also in terms of the prohibitions and interdictions against divine representation and verbalization in the Hebrew Bible.

Biographie de l'auteur-e

Rebecca Josephy

Rebecca Josephy est professeure adjointe à  l‘université d‘Oakland dans le Michigan. Son principal champ de recherche porte sur l‘influence de la Bible hébraïque et des pensées et philosophies juives dans la littérature et la culture françaises du XXe siècle. Elle travaille également sur les rapports entre religion et littérature policière et en particulier sur le Festin de Balthazar dans le Livre de Daniel tel qu‘il est repris dans des textes de ce genre littéraire. Elle a récemment publié des articles sur l‘emploi surprenant de cet épisode biblique dans les oeuvres de Maurice Leblanc et Arthur Conan Doyle et elle prépare actuellement un ouvrage collectif consacré aux liens entre magie, magiciens et romans policiers à  paraître en 2023.

Publié-e

2022-06-13

Numéro

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